II LE SOLEIL

Charles Baudelaire

Le long du vieux faubourg, oů pendent aux masures
Les persiennes, abri des secrčtes luxures,
Quand le soleil cruel frappe ŕ traits redoublés
Sur la ville et les champs, sur les toits et les blés,
Je vais m'exercer seul ŕ ma fantasque escrime,
Flairant dans tous les coins les hasards de la rime,
Trébuchant sur les mots comme sur les pavés,
Heurtant parfois des vers depuis long-temps ręvés.


Ce pčre nourricier, ennemi des chloroses,
Éveille dans les champs les vers comme les roses ;
Il fait s'évaporer les soucis vers le ciel,
Et remplit les cerveaux et les ruches de miel.
C'est lui qui rajeunit les porteurs de béquilles
Et les rend gais et doux comme des jeunes filles,
Et commande aux moissons de croître et de műrir
Dans le cœur immortel qui toujours veut fleurir !


Quand, ainsi qu'un počte, il descend dans les villes,
Il ennoblit le sort des choses les plus viles,
Et s'introduit en roi, sans bruit et sans valets,
Dans tous les hôpitaux et dans tous les palais.


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