XLVII LE CHAT

Charles Baudelaire

Dans ma cervelle se promčne,
Ainsi qu'en son appartement,
Un beau chat, fort, doux et charmant ;
Quand il miaule, on l'entend ŕ peine,

Tant son timbre est tendre et discret ;
Mais que sa voix s'apaise ou gronde,
Elle est toujours suave et profonde.
C'est lŕ son charme et son secret.

Cette voix, qui perle et qui filtre
Dans mon fonds le plus ténébreux,
Me remplit comme un vers nombreux
Et me pénčtre comme un philtre.

Elle endort les plus cruels maux
Et contient toutes les extases ;
Pour dire les plus longues phrases,
Elle n'a pas besoin de mots.

Non, il n'est pas d'archet qui morde
Sur mon cœur, parfait instrument,
Et fasse plus royalement
Chanter sa plus vibrante corde

Que ta voix, chat mystérieux,
Chat séraphique, chat étrange,
En qui tout est, comme en un ange,
Aussi subtil qu'harmonieux.

— De sa fourrure blonde et brune
Sort parfum si doux qu'un soir
J'en fus embaumé, pour l'avoir
Caressée une fois, rien qu'une.

C'est l'esprit familier du lieu ;
Il juge, il préside, il inspire
Toutes choses dans son empire ;
Peut-ętre est-il fée, est-il dieu ?

Quand mes yeux vers ce chat que j'aime,
Tirés comme par un aimant,
Se retournent docilement,
Et que je regarde en moi-męme,

Je vois avec étonnement
Le feu de ses prunelles pâles,
Clairs fanaux, vivantes opales,
Qui me contemplent fixement.

Inne teksty autora

Charles Baudelaire
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